Intéressant ! Philippe Vançon & Associés n’est pas Grant Thornton et pourtant beaucoup de points d’analyses convergent

4 juillet, 2013   

Laurent Prost, directeur associé du cabinet Grant Thornton de Dijon,  explique qu’il n’y a aucune fatalité au manque de performances économiques d’une entreprise, surtout en période de crise, mais seulement d’un manque de méthodes de gestion et de processus, notamment dans les PME.

Ceci résulte de facteurs différents : manque d’intérêt, de disponibilité des acteurs clés de l’entreprise …

Résolument convaincu qu’avec les bons outils de pilotage et une bonne vision stratégique, tout problème a sa solution, ce spécialiste de l’audit et du conseil stratégique, livre quelques judicieux conseils qu’il prodigue inlassablement à ses clients.

Qui est Grant Thornton ?

Il s’agit d’un réseau international de cabinets de conseil qui réalise un chiffre d’affaires de 4,2 milliards de $ et emploie près de 36 000 collaborateurs dans 124 pays. En France, il résulte de la fusion de deux cabinets : Fidulor et Amyot Exco qui ont pris le nom du réseau.

Pourquoi les PME françaises vous semblent mal outillées pour affronter cette conjoncture difficile, où les crises se succèdent à intervalle régulier ?

Le point commun à tout échec résulte inévitablement de la même cause : le manque de vision stratégique, corollaire indispensable à toute politique d’anticipation, et l’insuffisance de trésorerie. L’enjeu essentiel pour un chef d’entreprise est d’être déjà bien informé : sur l’évolution de son marché, sur ses concurrents, sur la réglementation en vigueur… En un mot, sur tout ce qui peut impacter son business. Cela prend un peu de temps, mais on en gagne ensuite beaucoup.

Il doit ensuite bien se situer en évaluant ses forces et ses faiblesses afin de renforcer les unes et limiter l’impact des autres. Avec le bon tableau de bord, on peut piloter dans de bonnes conditions, même quand la météo tourne à l’orage. Le voir arriver et prendre les bonnes mesures permet de limiter la casse, voire de saisir des opportunités ultérieures lorsque les autres auront été fragilisés.

Petite parenthèse : un bilan comptable, en France, n’offre aucune vision de la performance économique. Il faut aller la chercher ailleurs.

Où précisément ?

Dans toutes les fonctions même de l’entreprise : ses coûts, ses compétences humaines, ses produits, sa R&D, son système informatique, ses équipements, ses process. Je vous prends un exemple. Nombre de mes prospects ne sont pas peu fiers de me montrer leur dernière ligne de production entièrement automatisée récemment acquise. La première question que je leur pose est de savoir s’ils la jugent adaptée à leur marché actuel et à ses évolutions prévues. C’est souvent un grand silence, doublé d’une réponse timide sur la qualité du matériel. Je plaide de toutes mes forces pour éviter le surinvestissement en saturant l’outil productif avant de procéder à tout investissement nouveau.

Il faut penser pour chaque opération engagée que celle-ci doit générer la meilleure rotation possible des capitaux investis, afin d’avoir la meilleure création de valeur possible. Ceci est une théorie mais cela fonctionne : une entreprise fonctionne avec du cash. Le cash qui est utilisé de façon non appropriée prive l’entreprise de sa disponibilité pour d’autres emplois… Or l’argent ne coule plus à flots et devient rare et cher, donc il faut en faire bon usage. Avec Bâle III, ceci va devenir un point critique à brève échéance que les dirigeants de PME devront prendre en compte.

Les PME doivent apprendre à gérer les ressources de façon plus efficace, en appliquant des concepts parfois simples qui ont fait leurs preuves, mais de façon agile, c’est-à-dire avec pragmatisme.

Que faire encore pour optimiser le Besoin en Fonds de Roulement (BFR) ?

Définir des règles de fonctionnement, de gestion et de suivi des clients et des fournisseurs. Plonger dans son stock pour éliminer les produits obsolètes qui grèvent la performance et consomment de la trésorerie inutilement, en faisant travailler ensemble la direction financière, la force de vente et la production…

Ces trois fonctions doivent communiquer régulièrement avec un bon système d’information, mais hélas, dans les PME, c’est souvent la préhistoire à ce niveau. On détecte les dérives tardivement – trop tardivement parfois-, et on ne peut plus agir. Souvent d’ailleurs, on ne sait pas trop où on gagne de l’argent et où on en perd.

Je peux aussi ajouter l’organisation interne qui a des conséquences opérationnelles et financières. La question est : ai-je les bonnes compétences et où dois-je aller les chercher ?

Tout dirigeant doit également verrouiller ses avantages compétitifs et ceux-ci reposent sur le niveau de maîtrise des compétences requises par le marché. Exemple : je livre mes clients en 48 heures, c’est bien, mais demain que se passera-t-il si mes concurrents le font aussi ? Quels autres services puis-je agréger pour les fidéliser, en lien avec leurs besoins futurs ?

Voyez, je ne décroche pas la lune, mais cherche à imposer la mise en place de méthodes et d’outils de pilotage et de leur suivi qui participeront à la compréhension des règles du jeu sur un marché donné et son évolution.

« Anticiper, évaluer, s’adapter », les maîtres-mots de Laurent Prost.

Quels sont les principaux pièges à éviter pour un futur créateur d’entreprise ?

Celui du manque d’argent, car l’idée géniale ne suffit pas. Il faut des fonds propres pour lancer un projet et de quoi tenir, avant les premières rentrées financières, au moins une année. Compter uniquement sur les banques et la dette est la première erreur à ne pas commettre.

Il faut ensuite savoir où l’on met les pieds et bien évaluer le marché et sa part de marché potentielle afin de limiter les risques. Un projet tendu au départ sans marge de manœuvre sur le plan du financement conduira à une hausse sensible du risque d’échec.

Et pour une toute jeune entreprise ?

Je le martèle, son dirigeant doit adopter les bons réflexes : les TPE et PME sont généralement sur des marchés de niche. Elles doivent décliner leur offre suivant les circonstances, identifier les axes de différenciation et mettre en place des indicateurs de suivi appropriés afin de réaliser des actions correctives nécessaires en temps et en heure.

Leur faible taille leur permettra de s’adapter plus vite que les grandes entreprises car les processus décisionnels sont plus courts. Encore faut-il prendre le temps d’analyser sa performance et de comprendre ce qui se passe afin de corriger le tir lorsque cela s’impose.

Et pour une entreprise qui ne connaît pas la crise ?

Si elle se lance dans un projet de croissance externe, le danger, c’est l’autre. Si j’achète une entreprise, c’est aussi pour optimiser mon package de compétences et les démultiplier, pas pour faire une « bonne affaire au niveau du prix ». En matière de PME, l’investisseur a le choix, il peut limiter son risque ou l’augmenter. Des cibles , il y en a beaucoup. La bonne idée est plutôt de s’intéresser à la meilleure candidate au mariage/rachat.

Une analyse très fine des « vraies » performances et des compétences clés (qualité de l’outil de production, gestion des RH, vision stratégique, pilotage, innovation & technologie, commercial) me semble déjà primordiale.

Et, enfin, pour une entreprise qui rencontre des difficultés ?

Éviter de toujours voir le coin de ciel bleu pour demain en se disant « je vais m’en sortir, avec la commande qui doit arriver la semaine prochaine ». Dans ces schémas, on rentre inévitablement dans le mur de la défaillance. Il faut se donner du temps pour traiter les difficultés, de six mois à un an minimum. Avec de bons indicateurs, on saura déstocker à temps, mettre en place du chômage partiel, identifier les causes réelles de difficulté et les adresser par la mise en œuvre de plans d’actions appropriés (souvent transversaux) et finançables…

Un chef d’entreprise est un pilote de bateau. Il doit tenir ferme la barre, car à tout problème, il y a une solution, pour autant que l’on n’écope pas trop tard le bateau qui commence à prendre l’eau. A ce titre, il est important de donner une information qualitative à ses partenaires et de prévoir différents scénarii afin d’être prêt le jour où, et de montrer que l’on ne subit pas mais que l’on gère…

Tous vos conseils apparaissent judicieux, mais si l’on vous dit qu’ils ne sont pas gratuits ?

Beaucoup de conseils régionaux, notamment dans l’Est, ont mis en place une aide au conseil très efficace qui allège considérablement la note. Je pense que le sujet n’est pas le coût des prestations rendues, mais le retour sur investissement que l’on peut en attendre. Au-delà du diagnostic, nous accompagnons souvent nos clients avec une rémunération au succès, ce qui est une logique de « gagnant-gagnant » avec un retour sur investissement pour l’entreprise qui doit être de 6 mois au maximum.

Le conseil structurant a de la valeur et doit être considéré au même titre qu’un investissement productif.  On peut s’interroger sur le « gap » qui existe entre l’Allemagne et la France et le faible nombre d’ETI (NDLR : entreprises de taille intermédiaire). Les entreprises allemandes ont bien cerné les enjeux liés à une organisation en réseau ainsi que le risque lié à la baisse des prix provenant des pays low-cost, et ont fait évoluer leur modèle. Beaucoup de belles entreprises existent en Allemagne et pas en France….

Pourquoi les entreprises françaises ne seraient-elles pas capables d’en faire autant ? Une réflexion sur la stratégie de demain des entreprises françaises et les besoins en conseils divers est sans doute à ouvrir, dans un contexte de réflexion générale et d’évaluation des dispositifs publics existants.