Piloter un projet : quatre leçons de Gustave Eiffel

2 avril, 2014   

Plus de 300 m de hauteur, 7 800 tonnes, 12 000 pièces, 2,5 millions de rivets, 36 000 dessins, 26 mois de travaux… et une première mondiale : l’utilisation du fer pour bâtir une tour. Un défi inouï. En 1889, Gustave Eiffel a su le relever avec pragmatisme. Quelles ont été les clés de sa réussite ?

Ce 31 mars 2014, la tour Eiffel fête ses 125 ans. Gustave Eiffel était à la fois un visionnaire et un chef de projet exceptionnel. Il a su assurer la pérennité d’une oeuvre qui ne devait durer que six mois, le temps de l’Exposition universelle.

Difficile maitrise des coûts, pression des délais, aléas climatiques, contestations, nouveauté du matériau. L’épopée de la tour Eiffel a concentré tous les ingrédients qui font déraper un projet : son maître d’oeuvre a pourtant su lever tous les obstacles grâce à ses talents de manager. Il s’est même offert le luxe de finir l’ouvrage un mois avant la date prévue. Voici quatre leviers de sa méthode transposables en entreprise.

1- Clarifier la commande

Gustave Eiffel a su aller au-delà de la formulation officielle : faire de la tour le « clou » de l’Exposition universelle de 1889. Cherchant à saisir les motivations profondes de son commanditaire -le ministre de l’industrie et du commerce-, l’ingénieur a donc analysé les besoins non exprimés, en épousant son angle de vue. La situation politique est fragile, la France doit redynamiser son économie et briller dans le concert des nations. Il y a donc nécessité d’innover et de rallier la population à un projet exceptionnel. La prouesse technique n’y suffira pas, la tour aura donc deux autres fonctions : servir aux expérimentations scientifiques grâce à sa coupole haut perchée, devenir le monument le plus visité de Paris, qui plus est avec des entrées payantes.

Leçon 1 : éviter de se limiter à l’objectif affiché ; se forger son opinion et mettre sa touche personnelle; considérer tous les aspects, technique, humain et stratégique.

2- Faire confiance à ses collaborateurs

Gustave Eiffel n’avait au départ aucune idée du type de réalisation qui marquerait les esprits lors de l’Exposition. Il a donc remis le cahier des charges à ses deux ingénieurs d’études en chef qui ont phosphoré librement. Adoptant une posture de pilote de projet, il a écouté et su questionner leurs suggestions. Plutôt que d’énoncer des « oui mais… » qui découragent, il a utilisé le « oui et si… » qui stimule. Du coup, il a poussé les deux hommes à examiner les points faibles de leur projet : la composition du métal envisagé, sa résistance aux vents violents, l’esthétique du bâti. Ils ont trouvé le bon matériau et se sont adjoint la compétence d’un architecte. De même, aiguillonnés par Eiffel, ils ont trouvé par eux-mêmes des solutions au problème des fondations reposant sur des marécages : ils ont fait des tests sur des tours miniaturisées.

Leçon n°2 : éviter de faire à la place de X ou Y ; privilégier l’intelligence collective ; se méfier des jugements de valeur ; lever la tête du guidon pour impulser

3- Communiquer à chaque étape

Gustave Eiffel a suscité l’adhésion au projet au fur et à mesure de son déroulé. Pour ce faire, il a su aux moments charnières repérer les parties prenantes, pour mieux s’y adapter 1/ Face au comité de sélection, il a argumenté. Venu avec une documentation technique détaillée pour les pinailleurs, il a exposé une version synthétique, pour les autres avec des chiffres précis, l’explication des procédés et des bénéfices attendus. 2/ Face à ses détracteurs, il a répliqué par des faits. Il a invité les journalistes dénonçant les dangers du travail en hauteur et « l’odieuse colonne boulonnée » à rencontrer contremaitres et ouvriers in situ. En outre, il a inauguré le 1er étage en ouvrant le chantier à tous – presse, professionnels, collégiens, public- afin d’isoler les opposants.

Leçon n°3 : identifier les peurs et rassurer ; montrer à voir ; faire de ses collaborateurs des ambassadeurs du projet

4- Renforcer la cohésion des équipes

S’il a constitué des équipes « hyperspécialisées » dans leur domaine, Gustave Eiffel a donné, dans le recrutement, la priorité à l’agilité managériale des chefs, capables de travailler en transversalité. Les deux sites, les ateliers de Levallois qui concevaient et découpaient les poutrelles et le champ de Mars étaient reliés entre eux par une navette hippomobile deux fois par semaine pour les livraisons. Il y avait une réunion inter-sites par semaine des cadres sur le chantier. Par ailleurs, il a instauré une cantine au 1er étage, favorisant les échanges entre les travailleurs de la tour. Eiffel savait aussi reconnaitre publiquement les mérites de ses troupes. Lors des inaugurations, du 1er étage puis de l’ensemble, il a fait monter d’abord ceux de Levallois, dits « les gars du plancher des vaches », avant les monteurs, dits  » les charpentiers du ciel ». Et le jour « J » chacun des contributeurs reçut une médaille commémorative.

Leçon n°4 : spécialiser les rôles ; créer l’interdépendance des missions et faciliter la coordination en cas de problème ; valoriser chacun des collaborateurs.

Source : l’Express